Toute ressemblance serait fortuite | Biennale Images Vevey | 2024

Du white cube à la boîte noire

Depuis bientôt 20 ans, les étudiant·e·x·s de la formation supérieure en photographiese confrontent aux mondes des arts vivants en investissant les scènes romandes, d’abord le Centre d’art scénique contemporain Arsenic, entre 2005 et 2017, puis le Théâtre VIDY-Lausanne de 2018 à 2022. Depuis 2023, iels élisent encore d’autres scènes romandes de leur coeur comme par exemple, à Lausanne, le Théâtre Kléber-Méleau, la Grange de Dorigny, l’Opéra de Lausanne, le théâtre Sévelin 36, à Genève la Comédie ou le Pavillon de la danse, le far° festival et fabrique des arts vivants à Nyon, l’Oriental à Vevey, ou le théâtre Nuithonie à Fribourg.

Dans le contexte de l’édition 2024 de la Biennale Images Vevey qui se déroule du 07 au 29 septembre 2024, la formation supérieure en photographie du CEPV propose une exposition et un livre qui s’inscrivent dans les réflexions que suggèrent ces collaborations au sein des scènes romandes, tout en l’élargissant au thème plus ouvert de la théâtralité en photographie.

Cette exposition explore les aspects fictionnels de la photographie et ses rapports aux arts vivants, en particulier le théâtre. L’image mise en scène joue sur l’ambiguïté entre le réalisme de la photographie et sa capacité à stimuler l’imagination. Par sa théâtralité, elle produit un effet plus ou moins spectaculaire sur le public qui hésite dans son interprétation entre réel et artifice, ressemblance et invention. Alors que la représentation théâtrale est éphémère et unique, différente à chaque présentation publique, la représentation photographique propose une image fixe et reproductible d’une situation révolue. Toutefois, la photographie mise en scène, comme le théâtre, attache une importance particulière au point de vue du public et au processus actif de la réception.

La photographie théâtralisée est une image performée entièrement construite avant, pendant ou après la prise de vue. Elle peut jouer sur l’espace (scène, décor, objets ou éclairage), les personnages (mouvement du corps, gestuelle, expression du visage, habillement, maquillage…) ou encore le temps (l’action, l’interaction entre les êtres, le récit…). La fiction photographique met ainsi en tension le monde réel enregistré par l’appareil et le monde imaginaire créé par la mise en scène. Elle invite les spectateur·rice·s à s’interroger sur les notions de vrai, de faux et de croyance en provoquant un trouble de la perception entre réalité et simulacre.

Dans la photographie contemporaine, la théâtralité de la mascarade est l’expression de la figure humaine mise en scène. Les artistes révèlent l’ambivalence entre identités et apparences, mettent en relation les corps et les codes, les gestes et les conventions socioculturelles. À la suite de Cindy Sherman, les photographes s’écartent souvent de la pratique de l’autoportrait en faveur de l’autoreprésentation : il s’agit de l’interprétation d’un rôle et non d’une quête de soi.

Au théâtre, les interprètes sont généralement séparés du public grâce à la scène, qui crée un éloignement physique et peut induire une certaine distanciation. Les photographies de détails de corps ou de visages offrent une proximité, voire une intimité, avec les sujets représentés. Le cadrage permet aux photographes de montrer des fragments de mondes, comme des éclats de leurs univers oscillant entre réalité et fiction. Alors qu’au théâtre les sons, et en particulier la parole, contribuent à la compréhension d’une pièce, la photographie dans son silence offre au public une pluralité de significations possibles.

La lumière est un élément porteur de sens qui participe autant à la construction de l’image photographique qu’au spectacle théâtral. Dans cette exposition, l’éclairage se matérialise non seulement dans l’utilisation de spots de théâtre et de filtres sur les vitres, mais aussi dans la teinte des cimaises. Grâce à la scénographie, le public prend conscience des diverses manières de percevoir l’espace et les images. Les différents filtres offrent un parcours du regard entre transparence et opacité, netteté et flou, visible et invisible.

Les parois blanches évoquent le fameux white cube (cube blanc) fréquent dans les lieux d’exposition de l’art contemporain, à l’opposé de la salle obscure des cinémas et des théâtres, souvent comparée à une black box (boîte noire). Celle-ci rappelle la camera obscura (chambre noire) qui permettait d’observer les éclipses dans l’Antiquité et que l’on considère comme l’ancêtre de l’appareil photographique.

Pourquoi devrait-on opposer le noir au blanc, la réalité à la fiction ? Les murs gris sont là pour nous rappeler que rien ne peut se réduire à un simple schéma binaire. L’éclairage ambiant de l’exposition crée de multiples nuances de gris qui suggèrent toute la richesse de la photographie mise en scène, au-delà de la dualité entre ombre et lumière. Comme un miroir à double face, l’image performée interroge nos perceptions et nos représentations mentales ; elle nous propose une ouverture sur des mondes possibles.

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« […] la photographie et le théâtre ‘ se touchent ’ dans leur identique relation duelle au réel : ils sont concrets et ancrés dans le réel par la performance de l’acteur sur scène et la réalité de la chose enregistrée devant l’objectif, mais ils ont également la capacité d’échapper à toute réalité par la représentation d’une fiction. Nulle part ailleurs ces deux ‘ états ’ ne sont mieux associés que dans le théâtre et la photographie, le réel et le virtuel comme deux faces d’une même opération. Et, précisément, cette dualité est difficile à penser et ne cesse de nous interroger […]. » Michel Poivert, Brève histoire de la photographie, Paris, Hazan, 2015, p.45

Nassim Daghighian

Photographes

Estelle Bouchet
Matéo Brocard
Marie Brocher
Manon Buhagar
Asia Calabrò
Lucien Crausaz
Indra Crittin
Sasha Divià
Théo Dufloo
Marvin Estevez-Locatelli
Max Gigon Adatte
Lucien Giorgis
Laura Grand
Maude Gyger
Laurent Isler
Théophile Maeder
Aude Mayer
Yohan Nieto
Tessa Racioppi
Nine Sager
Miriam Theus
Romain Violier
Lorraine Vurlod

Direction artistique

Virginie Otth

Scénographie

Serge Perret

Assistants de production

Laurent Isler
Théophile Maeder

Vernissage

Samedi 7 septembre dès 14h
Au même moment et au même endroit se tiendra le lancement du livre “Hors-scène” qui rassemble plus de 20 ans de projets autour du théâtre par les étudiant·e·x·s du CEPV.

Exposition

7 – 29 septembre 2024
LU à VE 11h-19h
SA à DI, 14h-18h

Lieu

Espace Doret
Salle d’exposition du CEPV
Av. Nestlé 1, Vevey